ce pain quotidien
Tout d'abord, elle mélangeait de l'eau, un peu de farine, du sel, du sucre et de la levure, tout doucement, précautionneusement. Puis elle le mettait de côté dans un coin chaud de sa cuisine. Elle guettait les petites bulles qui se formaient. A un moment qu'elle jugeait important, elle jetait dans ce levain une grande quantité de farine, et avec ses mains essayait de former une boule. Ensuite, accroupie, à même le sol, elle frappait cette pâte ainsi formée, elle frappait sans donner de répit. Energique. Vigoureuse. Donner de l'air, répétait-elle ! Cette pâte doit être élastique, non collante, souple, murmurait-elle. Puis elle s'arrêtait, rouge, essoufflée comme si elle venait de gagner le combat. Ce petit pâton était à nouveau posé délicatement dans la petite bassine. Un linge humide le recouvrait. Attendre au moins 2 heures, annonçait-elle ! Elle le surveillait de temps en temps, car de petit pâton, il devenait souvent grand polisson, en s'échappant de sa maison !
Alors à cet instant, la magie arrivait ! Elle reprennait sa pâte avec tendresse et formait des petites boules qu'elle posait dans des petits moules, car ces coquins, si petits qu'ils étaient, attendaient qu'elle relâche son attention, et en profitaient pour se faufiler. Le four se mettait à chauffer, elle les posait délicatement sur une grande plaque bien chaude. Surveiller, me disait-elle, sinon le fruit de ce travail sera perdu. Tant d'effort ! Très vite, la cuisine embaumait, petite fille, je salivais. J'attendais, impatiente, la récompense ! Elle ne tardait jamais. La porte s'ouvrait, les vapeurs s'échappaient, l'odeur chatouillait nos narines, les petits pains, enfin.... J'avais le droit de goûter, je me brûlais les lèvres, la langue.... mais, je me délectais de ce pain que ma grand-mère nous faisait.
La recette familiale s'est ensuite transmise...
Maman façonnait, elle aussi, avec autant d'énergie des pains bien à elle. Petit pain qu'ado, je glissais dans ma poche... aux raisins, au chocolat suivant son humeur. Petit brin d'enfance. Elle continue de prétrir. Petit pain tout chaud porté dans son panier sur la plage où jouent une ribambelle d'enfants.
A mon tour, je mélange, je pétris, je façonne. Ce pain qui sort du four chaque jour me rappelle cette grand-mère que je regardais, enfant. Les odeurs, les gestes sont les mêmes. Ce sont les yeux de mes enfants qui brillent. Petit pain qui voyage, lui aussi dans des poches. Petit plaisir partagé le dimanche soir dans le dortoir.
Ce petit pain quotidien.